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mont-oriol

Le paysan continua :

— Et puis elle a plus de goût et du meilleur goût ; elle ne chent pas faux, comme l’autre. Oh ! chelle-là, moi, j’en réponds, qu’elle est bonne ! J’les connais, les eaux du pays, depuis chinquante ans que j’les r’garde couler. J’en ai jamais vu d’plus belle, jamais, jamais !

Il se tut quelques secondes et reprit :

— Ché n’est pas pour faire l’article que j’dis cha ! pour chûr, non. J’voudrais faire l’épreuve d’vant vous, la vraie épreuve, pas votre épreuve de pharmachien, mais l’épreuve sur un malade. Je parie qu’elle guérirait un paralytique, chelle-là, tant qu’elle est chaude et bonne de goût, je l’ parie !

Il parut chercher dans sa tête, puis regarder au sommet des monts voisins s’il ne découvrirait pas le paralytique désiré. Ne l’ayant point découvert, il abaissa ses yeux sur la route.

À deux cents mètres de là, on distinguait, au bord du chemin, les deux jambes inertes du vagabond dont le corps était caché par le tronc du saule.

Oriol mit sa main en abat-jour sur son front et demanda à son fils :

— Ch’est pas l’ païré Cloviche qu’est encore là ?

Colosse répondit en riant :

— Oui, oui. Ch’est lui, il n’ s’en va pas chi vite qu’un lièvre.

Alors Oriol fit un pas vers Andermatt, et avec une conviction grave et profonde :

— T’nez, monchieu, écoutez-moi. En v’là un là-bas, de paralytique, que monchieu le docteur connaît bien, mais un vrai, qu’on n’a pas vu faire un pas d’puis diche ans. Dites-le, monchieu l’ docteur ?