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n’avait pu s’empêcher de la conter à Paul. Et Paul, la trouvant drôle, s’était mis à rire. Il s’était promis d’ailleurs, depuis les phrases ambiguës de son camarade, de ne plus se mêler de ses affaires, et souvent il se demandait avec inquiétude : « Sait-il quelque chose de Christiane et de moi ? »

Il connaissait trop Gontran pour ne pas le croire capable de fermer les yeux sur une liaison de sa sœur. Mais alors, comment n’avait-il pas laissé comprendre plus tôt qu’il la devinait ou qu’il la savait ? Gontran était en effet de ceux pour qui toute femme du monde doit avoir un amant ou des amants, de ceux pour qui la famille n’est qu’une société de secours mutuels, pour qui la morale est une attitude indispensable pour voiler les goûts divers que la nature a mis en nous, et pour qui l’honorabilité mondaine est la façade dont on doit cacher les aimables vices. S’il avait poussé d’ailleurs sa petite sœur à épouser Andermatt, n’était-ce pas avec la pensée confuse, sinon bien arrêtée, que ce juif serait exploité, de toutes les façons, par toute la maison, et il aurait peut-être autant méprisé Christiane d’être fidèle à ce mari de convenance et d’utilité, qu’il se serait méprisé lui-même de ne pas puiser dans la bourse de son beau-frère.

Paul songeait à tout cela, et tout cela troublait son âme de Don Quichotte moderne, disposé d’ailleurs aux capitulations. Il était alors devenu très réservé vis-à-vis de cet énigmatique ami.

Donc, quand Gontran lui avait dit l’usage qu’il faisait de Mme Honorat, Brétigny s’était mis à rire, et même, depuis quelque temps, il se laissait conduire chez cette personne, et prenait grand plaisir à causer avec Charlotte.