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en des lettres incessantes et désespérées, si nombreuses et si pressantes qu’il était venu par faiblesse, par pitié. Et maintenant, elle l’accablait de sa tendresse disgracieuse et gémissante ; et il éprouvait un désir immodéré de la quitter, de ne plus la voir, de ne plus l’entendre chanter sa chanson amoureuse, irritante et déplacée. Il aurait voulu lui crier tout ce qu’il avait sur le cœur, lui expliquer combien elle se montrait maladroite et sotte, mais il ne le pouvait faire, et il n’osait pas s’en aller, et il ne pouvait non plus s’abstenir de lui témoigner son impatience par des paroles amères et blessantes.

Elle en souffrait d’autant plus que, malade, alourdie chaque jour davantage, travaillée par toutes les misères des femmes grosses, elle avait plus besoin que jamais d’être consolée, dorlotée, enveloppée d’affection. Elle l’aimait avec cet abandon complet du corps, de l’âme, de son être entier, qui fait de l’amour, quelque fois, un sacrifice sans réserves et sans limites. Elle ne se croyait plus sa maîtresse, mais sa femme, sa compagne, sa dévouée, sa fidèle, son esclave prosternée, sa chose. Pour elle, il ne s’agissait plus entre eux de galanterie, de coquetterie, de désir de plaire toujours, de frais de grâce à faire encore, puisqu’elle lui appartenait complètement, puisqu’ils étaient liés par cette chaîne si douce et si puissante : l’enfant qui naîtrait bientôt. Dès qu’ils furent seuls dans la fenêtre, elle recommença sa tendre lamentation :

— Paul, mon cher Paul, dis, m’aimes-tu toujours autant ?

— Mais oui ! Voyons, tu me répètes cela tous les jours, ça finit par être monotone.