Page:Maupassant - Mont-Oriol, Ollendorff, 1905.djvu/265

Cette page a été validée par deux contributeurs.
259
mont-oriol

bonder dans la foule en s’amusant de tout leur cœur.

Elle dit tout bas à Paul Brétigny :

— Il finirait par la compromettre. Il faudra que nous lui parlions ce soir, en rentrant.

Paul répondit :

— J’y avais déjà songé. Vous avez tout à fait raison. On alla dîner dans un des restaurants de Clermont Ferrand, ceux de Royat ne valant rien, au dire du marquis, qui était gourmand, et on rentra, la nuit tombée.

Charlotte était devenue sérieuse, Gontran lui ayant fortement serré la main en lui donnant ses gants, pour quitter la table. Sa conscience de fillette s’inquiétait tout à coup. C’était un aveu, cela ! une démarche ! une inconvenance ! Qu’aurait-elle dû faire ? Lui parler ? mais quoi lui dire ? Se fâcher eût été ridicule ! Il fallait tant de tact dans ces circonstances-là ! Mais en ne faisant rien, en ne disant rien, elle avait l’air d’accepter son avance, de devenir sa complice, de répondre « oui » à cette pression de main.

Et elle pesait la situation, s’accusant d’avoir été trop gaie et trop familière à Royat, trouvant à présent que sa sœur avait raison, qu’elle s’était compromise, perdue ! La voiture roulait sur la route, Paul et Gontran fumaient en silence, le marquis dormait, Christiane regardait les étoiles, et Charlotte retenait à grand peine ses larmes, car elle avait bu trois verres de champagne.

Lorsqu’on fut revenu, Christiane dit à son père :

— Comme il est nuit, tu vas reconduire la jeune fille.

Le marquis offrit son bras et s’éloigna aussitôt avec elle.