Page:Maupassant - Mont-Oriol, Ollendorff, 1905.djvu/250

Cette page a été validée par deux contributeurs.
244
mont-oriol

d’hôte, car le duc, homme triste, atteint d’une obésité monstrueuse, avait horreur de l’isolement et voulait manger dans la salle commune. Le docteur Mazelli connaissait déjà par leurs noms presque tous les habitués ; il eut un mot aimable pour chaque homme, un compliment pour chaque femme, un sourire même pour chaque domestique.

Placé à la droite de la duchesse, une belle personne entre trente-cinq et quarante ans, au teint pâle, aux yeux noirs, aux cheveux bleuâtres, il lui disait, à chaque plat : « Très peu », ou bien : « Non, pas ceci », ou bien : « Oui, mangez de cela. » Et il lui versait lui même à boire, avec un soin très grand, en mesurant bien exactement les proportions de vin et d’eau qu’il mélangeait.

Il gouvernait aussi les nourritures du duc, mais avec une négligence visible. Le client, d’ailleurs, ne tenait aucun compte de ses avis, dévorait tout avec une voracité bestiale, buvait à chaque repas deux carafes de vin pur, puis allait s’abattre sur une chaise, à l’air, devant la porte de l’hôtel, et se mettait à geindre de peine en se lamentant sur ses digestions.

Après le premier dîner, le docteur Mazelli, qui avait jugé et pesé tout son monde d’un coup d’œil, alla rejoindre, sur la terrasse du Casino, Gontran qui fumait un cigare, se nomma et se mit à causer.

Au bout d’une heure, ils étaient intimes. Le lendemain, à la sortie du bain, il se fit présenter à Christiane dont il gagna la sympathie en dix minutes de conversation, et il la mit en relations le jour même avec la duchesse, qui n’aimait point non plus la solitude.