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Et lui montrant la lune qui se levait :

— Tiens, c’était un soir tout pareil ! Tu te rappelles, comme tu baisais mon ombre ?

Il la retenait :

— Christiane… écoute… c’est ridicule… Christiane.

Elle ne répondait pas et marchait vers la descente qui conduisait aux vignes. Il connaissait cette volonté calme que rien ne faisait dévier, l’entêtement gracieux de ces yeux bleus, de ce petit front de blondine qu’aucun obstacle n’arrêtait ; et il prit son bras pour la soutenir en route.

— Si on nous voyait, Christiane ?

— Tu ne disais pas ça, l’an dernier. Et puis, tout le monde est à la fête. Nous serons revenus sans qu’on ait remarqué notre absence.

Il fallut bientôt monter par le sentier pierreux. Elle soufflait, s’appuyant sur lui de toute sa force ; et à chaque pas, elle disait :

— C’est bon, c’est bon, c’est bon de souffrir ainsi !

Il s’arrêta, voulant la ramener. Mais elle ne l’écoutait point :

— Non, non. Je suis heureuse. Tu ne comprends pas ça, toi. Écoute… je le sens qui tressaille… notre enfant… ton enfant… quel bonheur !… donne ta main… Tiens… le sens-tu ?…

Elle ne comprenait pas qu’il était, cet homme, de la race des amants, et non point de la race des pères. Depuis qu’il la savait enceinte, il s’éloignait d’elle et se dégoûtait d’elle, malgré lui. Il avait souvent répété, jadis, qu’une femme n’est plus digne d’amour qui a fait fonction de reproductrice. Ce qui l’exaltait dans la tendresse, c’était cet envolement de deux cœurs