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Il pivota sur un talon, et reprit : « Pour un artiste toute la musique est dans un accord. Ah ! mon cher, certains accords m’affolent, me font entrer dans toute la chair un flot de bonheur inexprimable. J’ai aujourd’hui l’oreille tellement exercée, tellement faite, tellement mûre, que je finis par aimer même certains accords faux, comme un amateur dont la maturité de goût arrive à la dépravation. Je commence à être un corrompu qui cherche les extrêmes sensations d’ouïe, Oui, mes amis, certaines fausses notes ! Quelles délices ! Quelles délices perverses et profondes ! Comme ça remue, comme ça ébranle les nerfs, comme ça gratte l’oreille… comme ça gratte…! comme ça gratte… ! »

Il se frottait les mains avec ravissement, et il chantonna : « Vous entendrez mon opéra, — mon opéra, — mon opéra. — Vous entendez, mon opéra. »

Gontran dit :

— Vous faites un opéra ?

— Oui, je l’achève.

Mais la voix de commandement de Petrus Martel retentissait :

— Vous comprenez bien ! C’est convenu : une fusée jaune, et vous partez !

Il donnait des ordres pour le feu d’artifice. On le rejoignit et il expliqua ses dispositions en montrant de son bras tendu, comme s’il eût menacé une flotte ennemie, des piquets de bois blancs sur la montagne, au-dessus des gorges, de l’autre côté du vallon.

— C’est là-bas qu’on le tirera. Je dirai à mon artificier d’être à son poste dès huit heures et demie. Aussitôt que le spectacle sera fini, je donnerai le signal