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déjeuner tantôt le soir, à cause des domestiques qui pourraient jaser si je sortais à la même heure. Nous pourrons nous rencontrer autant qu’ici, même plus qu’ici, car nous n’aurons pas à craindre les curieux.

Mais il répétait, la tête sur ses genoux, et lui serrant la taille :

— Liane, Liane, je vais te perdre ! Je sens que je vais te perdre !

Elle s’impatientait de ce chagrin irraisonné, de ce chagrin d’enfant dans ce corps si vigoureux, elle si frêle auprès de lui, et si sûre d’elle pourtant, si sûre que rien ne pourrait les séparer.

Il murmurait :

— Si tu voulais, Liane, nous nous sauverions ensemble, nous irions très loin, dans un beau pays plein de fleurs, pour nous aimer. Dis, veux-tu que nous partions, ce soir, veux-tu !

Mais elle haussait les épaules, un peu nerveuse, un peu mécontente qu’il ne l’écoutât point, car ce n’était plus l’heure des rêveries et des gamineries tendres. Il fallait, à présent, se montrer énergiques et prudents, et chercher les moyens de s’aimer toujours sans éveiller aucun soupçon.

Elle reprit :

— Écoute, chéri, il s’agit de bien nous entendre et de ne pas commettre d’imprudences ni de fautes. D’abord, es-tu sûr de tes domestiques ? Ce qu’il y a de plus à craindre, c’est une dénonciation, une lettre anonyme à mon mari. De lui-même il ne devinera rien. Je connais bien William…

Ce nom, deux fois répété, irrita tout à coup le cœur de Paul. Il dit, nerveux :