Page:Maupassant - Mont-Oriol, Ollendorff, 1905.djvu/164

Cette page a été validée par deux contributeurs.
158
mont-oriol

Christiane et Paul ne semblaient pas entendre, tout occupés l’un de l’autre.

Le marquis dit à sa fille :

— Hé ! mignonne, tu pourrais bien devenir un jour une des femmes les plus riches de France, et on te nommera comme on nomme les Rothschild. Will est vraiment un homme remarquable, très remarquable, une grande intelligence.

Mais une jalousie brusque et bizarre entra soudain dans le cœur de Paul.

— Laissez donc, dit-il, je la connais, leur intelligence, à tous ces brasseurs d’affaires. Ils n’ont qu’une chose en tête : l’argent ! Toutes les pensées que nous donnons aux belles choses, tous les actes que nous perdons pour nos caprices, toutes les heures que nous jetons à nos distractions, toute la force que nous gaspillons pour nos plaisirs, toute l’ardeur et toute la puissance que nous prend l’amour, l’amour divin, ils les emploient à chercher de l’or, à songer à l’or, à amasser de l’or ! L’homme, l’homme intelligent, vit pour toutes les grandes tendresses désintéressées, les arts, l’amour, la science, les voyages, les livres ; et s’il cherche l’argent, c’est parce que cela facilite les joies réelles de l’esprit et même le bonheur du cœur ! Mais, eux, ils n’ont rien dans l’esprit et dans le cœur que ce goût ignoble du trafic ! Ils ressemblent aux hommes de valeur, ces écumeurs de la vie, comme le marchand de tableaux ressemble au peintre, comme l’éditeur ressemble à l’écrivain, comme le directeur de théâtre ressemble au poète.

Il se tut soudain, comprenant qu’il se laissait emporter, et il reprit d’une voix plus calme :