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Elles avaient toujours l’aspect redoutable d’un réquisitoire.

Sur une grande feuille blanche de papier à écolier, ses ordonnances s’étalaient par nombreux paragraphes de deux ou trois lignes chacun, d’une écriture rageuse, hérissée de lettres pareilles à des pointes.

Et les potions, les pilules, les poudres qu’on devait prendre à jeun, le matin, à midi, ou le soir, se suivaient avec des airs féroces.

On croyait lire : « Attendu que M. X… est atteint d’une maladie chronique, incurable et mortelle,

Il prendra : — 1o du sulfate de quinine qui le rendra sourd, et lui fera perdre la mémoire ;

2o Du bromure de potassium qui lui détruira l’estomac, affaiblira toutes ses facultés, le couvrira de boutons, et fera fétide son haleine ;

3o De l’iodure de potassium aussi, qui, desséchant toutes les glandes sécrétantes de son individu, celles du cerveau comme les autres, le laissera, en peu de temps, aussi impuissant qu’imbécile ;

4o Du salicylate de soude, dont les effets curatifs ne sont pas encore prouvés, mais qui semble conduire à une mort foudroyante et prompte les malades traités par ce remède ;

Et concurremment :

Du chloral qui rend fou, de la belladone qui attaque les yeux, de toutes les solutions végétales, de toutes les compositions minérales qui corrompent le sang, rongent les organes, mangent les os, et font périr par le médicament ceux que la maladie épargne. »

Il écrivit longtemps, sur le recto et sur le verso, puis