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des précautions et un tact excessifs pour éviter tous les froissements, qui peuvent avoir de graves conséquences. M. le docteur Bonnefille, instruit de ma visite ici, me croyant coupable de cette indélicatesse, les apparences étant, en effet, contre moi, en a parlé en termes tels que, n’était son âge, je me serais vu forcé de lui en demander raison. Il ne me reste qu’une chose à faire, pour m’innocenter à ses yeux et aux yeux de tout le corps médical de la contrée, c’est de cesser, à mon grand chagrin, de donner mes soins à votre femme, et de faire connaître toute la vérité sur cette affaire, en vous priant d’agréer mes excuses.

Andermatt répondit avec embarras :

— Je comprends fort bien, docteur, la situation difficile où vous vous trouvez. La faute en est, non pas à moi ou à ma femme, mais à mon beau-père, qui avait appelé M. Bonnefille sans nous prévenir. Ne pourrais-je aller trouver votre confrère et lui dire…

Le docteur Latonne l’interrompit :

— C’est inutile, mon cher monsieur, il y a là une question de dignité et d’honorabilité professionnelles que je dois avant tout respecter, et, malgré mes vifs regrets…

Andermatt, à son tour, lui coupa la parole. L’homme riche, l’homme qui paye, qui achète une ordonnance de cinq, dix, vingt ou quarante francs comme une boîte d’allumettes de trois sous, à qui tout doit appartenir par la puissance de sa bourse, et qui n’apprécie les êtres et les objets qu’en vertu d’une assimilation de leur valeur avec celle de l’argent, d’un rapport rapide et direct établi entre les métaux monnayés et toutes les autres choses du monde, s’irritait de l’outrecuidance de ce marchand