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Puis, à mesure que les ténèbres se répandaient sur la terre, elle monta, luisante et ronde, au-dessus du cratère tout rond comme elle. Il semblait qu’elle dût se laisser choir dedans. Et, lorsqu’elle fut haut dans le ciel, le lac eut l’air d’une cuve d’argent. Alors sur sa surface, tout le jour immobile, on vit courir des frissons, tantôt lents et tantôt rapides. On eût dit que des esprits, voltigeant au ras de l’eau, laissaient traîner dessus d’invisibles voiles.

C’étaient les gros poissons du fond, les carpes séculaires et les brochets voraces, qui venaient s’ébattre au clair de la lune.

Les petites Oriol avaient remis toute la vaisselle et les bouteilles dans le panier que le cocher vint prendre. On repartit.

En passant dans l’allée, sous les arbres, où des taches de clarté tombaient comme une pluie dans l’herbe à travers les feuilles, Christiane, qui venait l’avant-dernière, suivie de Paul, entendit soudain une voix haletante qui lui disait, presque dans l’oreille : « Je vous aime ! — Je vous aime ! — Je vous aime ! »

Son cœur se mit à battre si éperdument qu’elle faillit tomber, ne pouvant plus remuer les jambes. Elle marchait cependant. Elle marchait, folle, prête à se retourner, les bras ouverts et les lèvres tendues. Il avait saisi maintenant le bord du petit châle dont elle se couvrait les épaules, et il le baisait avec frénésie. Elle continuait à marcher, si défaillante, qu’elle ne sentait plus du tout le sol sous ses pieds.

Soudain elle sortit de la voûte des arbres, et, se trouvant en pleine lumière, elle maîtrisa brusquement son trouble ; mais avant de monter en landau et de perdre