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ses genoux ce passionné, comme elle aurait entrepris de gagner une partie de croquet, il se laissa prendre, ce roué candide, aux mines de cette innocente, et il commença à l’aimer.

Alors il devint gauche, inquiet, nerveux ; et elle le traita comme un chat fait d’une souris.

Avec une autre, il n’eût point été gêné, il eût parlé, il l’eût conquise par sa fougue entraînante ; avec elle, il n’osait pas, tant elle lui semblait différente de toutes celles qu’il avait connues.

Les autres, en somme, étaient des femmes déjà brûlées par la vie, à qui on pouvait tout dire, avec qui on pouvait oser les appels les plus hardis, en leur murmurant près des lèvres les paroles frémissantes qui enflamment le sang. Il se savait, il se sentait irrésistible quand il pouvait communiquer librement à l’âme, au cœur, aux sens de celle qu’il aimait, le désir impétueux dont il était ravagé.

Auprès de Christiane il se croyait auprès d’une jeune fille, tant il la devinait novice ; et tous ses moyens restaient paralysés. Et puis il la chérissait d’une façon nouvelle, comme une enfant, et comme une fiancée. Il la désirait ; et il avait peur d’y toucher, de la salir, de la faner. Il n’avait pas envie de l’étreindre à la broyer dans ses bras, comme les autres, mais de se mettre à genoux pour baiser sa robe et d’embrasser doucement, avec une lenteur infiniment chaste et tendre, les petits cheveux de ses tempes, les coins de sa bouche, et ses yeux, ses yeux fermés dont il sentirait le regard bleu, le regard charmant, éveillé sous la paupière baissée. Il aurait voulu la protéger contre tout le monde et contre tout, ne pas la laisser