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et son beau-frère, égayés par cette manie, s’amusaient à le tromper, à lui présenter des meubles bizarres en le priant de les estimer ; et quand il demeurait perplexe, en face de leurs trouvailles invraisemblables, ils riaient tous deux comme des fous. Parfois aussi, dans la rue, à Paris, Gontran l’arrêtait devant un magasin, le forçait à apprécier la valeur d’une vitrine entière ou bien d’un cheval de fiacre boiteux, ou bien encore d’une voiture de déménagement avec tous les meubles qu’elle portait.

A table, un soir de grand dîner chez sa sœur, il somma William de lui dire à peu près ce que pouvait valoir l’obélisque ; puis, quand l’autre eut cité un chiffre quelconque, il posa la même question pour le pont Solférino et l’arc de triomphe de l’Etoile. Et il conclut avec gravité : « Vous feriez un travail très intéressant sur l’évaluation des principaux monuments du globe. »

Andermatt ne se fâchait jamais et se prêtait à toutes ses plaisanteries, en homme supérieur, sûr de lui.

Gontran ayant demandé un jour : « Et moi, combien est-ce que je vaux ? » William refusa de répondre, puis, sur les instances de son beau-frère qui répétait : « Voyons, si je devenais prisonnier des brigands, qu’est-ce que vous donneriez pour me racheter ? » il répondit enfin : « Eh bien !… eh bien !… je ferais un billet, mon cher. » Et son sourire disait tant de choses que l’autre, un peu vexé, n’insista plus.