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marche à grands pas pressés, à grands pas sérieux d’homme éminent dont la présence peut sauver une vie.

Dès qu’il entra, les deux autres, pleins de déférence, le consultèrent avec humilité, répétant ensemble ou presque en même temps :

— Voici ce qui s’est passé, cher Maître… Ne croyez-vous pas, cher Maître ?… N’y aurait-il pas lieu, cher Maître ?…

Andermatt à son tour, affolé d’angoisse par les gémissements de sa femme, harcelait de questions

M. Mas-Roussel, et l’appelait aussi « cher Maître », à pleine bouche.

Christiane, presque nue devant ces hommes, ne voyait plus rien, ne savait plus rien, ne comprenait plus rien ; elle souffrait si horriblement que toute idée avait fui de sa tête. Il lui semblait qu’on lui promenait dans le flanc et dans le dos à la hauteur des hanches une longue scie à dents émoussées qui lui déchiquetait les os et les muscles, lentement, d’une façon irrégulière, avec des secousses, des arrêts et des reprises de plus en plus affreuses.

Quand cette torture s’affaiblissait quelques instants, quand les déchirures de son corps laissaient renaître sa raison, une pensée alors se plantait dans son âme, plus cruelle, plus aiguë, plus épouvantable que la douleur physique : il aimait une autre femme et il allait l’épouser.

Et pour que cette morsure qui lui rongeait la tête s’apaisât de nouveau, elle s’efforçait de réveiller