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leur temps. Voilà ce qu’on ne veut pas comprendre.

« La musique est un art neuf. La mélodie en est le bégaiement. L’oreille ignorante a aimé les ritournelles. Elle y prenait un plaisir d’enfant, un plaisir de sauvage. J’ajoute que les oreilles du peuple ou du public naïf, les oreilles simples aimeront toujours les petites chansons, les airs enfin. C’est un amusement assimilable à celui que prennent les habitués des cafés-concerts.

« Je vais me servir d’une comparaison pour me faire bien comprendre. L’œil du rustre aime les couleurs brutales et les tableaux éclatants, l’œil du bourgeois lettré mais non artiste aime les nuances aimablement prétentieuses et les sujets attendrissants ; mais l’œil artiste, l’œil raffiné, aime, comprend, distingue les insaisissables modulations d’un même ton, les accords mystérieux des nuances, invisibles pour tout le monde.

« De même en littérature : les concierges aiment les romans d’aventures, les bourgeois aiment les romans qui les émeuvent, et les vrais lettrés n’aiment que les livres artistes incompréhensibles pour les autres.

« Quand un bourgeois me parle musique, j’ai envie de le tuer. Et quand c’est à l’Opéra, je lui demande : « Êtes-vous capable de me dire si le troisième violon a fait une fausse note à l’ouverture du troisième acte ? — Non. — Alors taisez-vous. Vous n’avez pas d’oreille. » L’homme qui, dans un orchestre, n’entend pas en même temps l’ensemble, et séparément tous