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champagne ; le bruit subit du premier bouchon qui sauta surprit tout le monde, tant il parut bizarre en ce lieu.

Le jour finissait ; l’air s’imprégnait de fraîcheur ; une étrange mélancolie s’abattait avec le soir sur l’eau dormante au fond du cratère.

Lorsque le soleil fut près de disparaître, le ciel s’étant mis à flamboyer, le lac tout à coup eut l’air d’une cuve de feu ; puis, après le soleil couché, l’horizon étant devenu rouge comme un brasier qui va s’éteindre, le lac eut l’air d’une cuve de sang. Et soudain, sur la crête de la colline, la lune presque pleine se leva, toute pâle dans le firmament encore clair. Puis, à mesure que les ténèbres se répandaient sur la terre, elle monta, luisante et ronde, au-dessus du cratère tout rond comme elle. Il semblait qu’elle dût se laisser choir dedans. Et, lorsqu’elle fut haut dans le ciel, le lac eut l’air d’une cuve d’argent. Alors sur sa surface, tout le jour immobile, on vit courir des frissons, tantôt lents et tantôt rapides. On eût dit que des esprits, voltigeant au ras de l’eau, laissaient traîner dessus d’invisibles voiles.

C’étaient les gros poissons du fond, les carpes séculaires et les brochets voraces, qui venaient s’ébattre au clair de la lune.

Les petites Oriol avaient remis toute la vaisselle et les bouteilles dans le panier que le cocher vint prendre. On repartit.

En passant dans l’allée, sous les arbres, où des