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Certes, elle songeait qu’on serait bien à deux dans cette si petite demeure cachée sous les arbres, en face de ce joujou de lac, de ce bijou de lac, vrai miroir d’amour ! On serait bien, sans personne autour de soi, sans un voisin, sans un cri d’être, sans un bruit de vie, seule avec un homme aimé qui passerait ses heures aux genoux de l’adorée, la regardant pendant qu’elle regarderait l’onde bleue et qui lui dirait des paroles tendres en lui baisant le bout des doigts.

Ils vivraient là, dans le silence, sous les arbres, au fond de ce cratère qui contiendrait toute leur passion, comme l’eau limpide et profonde, dans son enceinte fermée et régulière, sans autre horizon pour leurs yeux que la ligne ronde de la côte, sans autre horizon pour leur pensée que le bonheur de s’aimer, sans autre horizon pour leurs désirs que des baisers lents et sans fin.

Se trouvait-il donc des gens sur la terre qui pouvaient goûter des jours pareils ? Oui, sans doute ! Et pourquoi pas ? Comment n’avait-elle point compris plus tôt que des joies semblables existaient ?

Les fillettes annoncèrent le dîner prêt. Il était déjà six heures. On réveilla le marquis et Gontran pour aller s’asseoir à la turque un peu plus loin, à côté des assiettes qui glissaient dans l’herbe. Les deux sœurs continuèrent à servir, et les hommes nonchalants ne les en empêchèrent point. Ils mangeaient lentement, jetant les épluchures et les os de poulet dans l’eau. On avait apporté du