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Tenez, je vais vous dire deux strophes de Baudelaire.

Et il déclama :

Que tu viennes du ciel ou de l’enfer, qu’importe,
Ô Beauté, monstre énorme, effrayant, ingénu,
Si ton œil, ton souris, ton pied m’ouvre la porte
D’un infini que j’aime et n’ai jamais connu !

De Satan ou de Dieu qu’importe, ange ou sirène,
Qu’importe si tu rends - fée aux yeux de velours,
Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine,
L’univers moins hideux et les instants moins lourds !

Christiane maintenant le regardait, étonnée de son lyrisme, l’interrogeant de l’œil, ne comprenant pas bien quelle chose extraordinaire pouvait contenir cette poésie.

Il devina sa pensée, et s’irrita de ne lui avoir point communiqué son exaltation, car il les avait fort bien dits, ces vers, et il reprit avec une nuance de dédain :

— Je suis un fou de vouloir vous forcer à goûter un poète d’une inspiration aussi subtile. Un jour viendra, je l’espère, où vous sentirez, comme moi, ces choses-là. Les femmes, douées de bien plus d’intuition que de compréhension, ne saisissent les intentions secrètes et voilées de l’art que si on fait d’abord un appel sympathique à leur pensée.

Et, la saluant, il ajouta :

— Je m’efforcerai, Madame, de faire cet appel sympathique.