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La route était vide, blanche et poudreuse, frôlée par la rivière qu’abritaient des saules. Sous l’un d’eux, tout à coup, Oriol aperçut deux pieds, puis, ayant fait trois pas de plus, il reconnut le père Clovis assis au bord du chemin, ses béquilles posées sur l’herbe à ses côtés.

C’était un vieux paralytique, célèbre dans tout le pays, où il rôdait depuis dix ans d’une façon pénible et lente, sur ses jambes de chêne, comme il disait, pareil à un pauvre de Callot. Ancien braconnier de bois et de ruisseaux, souvent saisi et condamné, il avait pris des douleurs à ses longs affûts couchés sur l’herbe humide et à ses pêches nocturnes dans les rivières, qu’il parcourait avec de l’eau jusqu’à mi-corps. Maintenant il geignait et déambulait à la manière d’un crabe qui aurait perdu ses pattes. Il allait, traînant par terre la jambe droite comme une loque, et la gauche relevée, pliée en deux. Mais les garçons du pays, qui couraient, à la brune, après les filles ou après les lièvres, affirmaient qu’on rencontrait le père Clovis, rapide comme un cerf et souple comme une couleuvre sous les buissons et dans les clairières, et que ses rhumatismes n’étaient en somme que de la « farce à gendarmes ». Colosse surtout s’entêtait à soutenir qu’il