Page:Maupassant - Mont-Oriol, éd. Conard, 1910.djvu/39

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous aurez tantôt un spectacle des plus intéressants à l’entrée du pays.

— Quoi donc, docteur ?

— Le père Oriol va faire sauter son morne. Ah ! ça ne vous dit rien à vous, mais pour nous c’est un gros événement.

Et il s’expliqua.

Le père Oriol, le plus riche paysan de toute la contrée — on lui connaissait plus de cinquante mille francs de revenu — possédait toutes les vignes au débouché d’Enval sur la plaine. Or, juste à la sortie du village, à l’écartement du vallon, s’élevait un petit mont, ou plutôt une grande butte, et sur cette butte étaient les meilleurs vignobles du père Oriol. Au milieu de l’un d’eux, contre la route, à deux pas du ruisseau, s’élevait une pierre gigantesque, un morne qui gênait la culture et mettait à l’ombre toute une partie du champ qu’elle dominait.

Depuis dix ans le père Oriol annonçait chaque semaine qu’il allait faire sauter son morne ; mais il ne s’y décidait jamais.

Chaque fois qu’un garçon du pays partait pour le service, le vieux lui disait : « Quand tu viendras en congé apporto moi de la poudre pour mon rô. »

Et tous les petits soldats rapportaient dans leur sac de la poudre volée pour le rô du