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De même en littérature : les concierges aiment les romans d’aventures, les bourgeois aiment les romans qui les émeuvent, et les vrais lettrés n’aiment que les livres artistes incompréhensibles pour les autres.

Quand un bourgeois me parle musique, j’ai envie de le tuer. Et quand c’est à l’Opéra, je lui demande :

— Êtes-vous capable de me dire si le troisième violon a fait une fausse note à l’ouverture du troisième acte ? — Non. — Alors taisez-vous. Vous n’avez pas d’oreille. L’homme qui, dans un orchestre, n’entend pas en même temps l’ensemble, et séparément tous les instruments, n’a pas d’oreille et n’est pas musicien. Voilà ! Bonsoir !

Il pivota sur un talon, et reprit :

— Pour un artiste, toute la musique est dans un accord. Ah ! mon cher, certains accords m’affolent, me font entrer dans toute la chair un flot de bonheur inexprimable. J’ai aujourd’hui l’oreille tellement exercée, tellement faite, tellement mûre, que je finis par aimer même certains accords faux, comme un amateur dont la maturité de goût arrive à la dépravation. Je commence à être un corrompu qui cherche les extrêmes sensations d’ouïe. Oui, mes amis, certaines fausses notes ! Quelles délices ! Quelles délices per-