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cupât d’eux, sans que personne devinât rien, sans que personne songeât même à les épier, car toute l’attention, toute la curiosité, toute la passion de tout le monde étaient absorbées par la station future.

Christiane avait fait comme un adolescent qui s’enivre une première fois. Le premier verre, le premier baiser, l’avait brûlée, étourdie. Elle avait bu le second bien vite, et l’avait trouvé meilleur, et maintenant elle se grisait à pleine bouche.

Depuis le soir où Paul était entré dans sa chambre, elle ne savait plus du tout ce qui se passait dans le monde. Le temps, les choses, les êtres n’existaient plus pour elle ; rien n’existait plus qu’un homme. Il n’y avait plus, sur la terre ou dans le ciel, qu’un homme, un seul homme, celui qu’elle aimait. Ses yeux ne voyaient plus que lui, son esprit ne pensait plus qu’à lui, son espoir ne s’attachait plus que sur lui. Elle vivait, changeait de place, mangeait, s’habillait, semblait écouter et répondait, sans comprendre et sans savoir ce qu’elle faisait. Aucune inquiétude ne la hantait, car aucun malheur n’aurait pu la frapper ! Elle était devenue insensible à tout. Aucune douleur physique n’aurait eu de prise sur sa chair que l’amour seul pouvait faire frémir. Aucune douleur morale n’aurait eu