Page:Maupassant - Mont-Oriol, éd. Conard, 1910.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur la route obscurcie, au grand trot des deux chevaux, il lui sembla qu’elle n’avait plus rien à redouter de personne pour le reste de sa vie.

Elle passa toute la soirée assise devant l’hôtel, entre son père et Paul Brétigny, Gontran étant parti au Casino, comme il faisait chaque jour.

Elle ne voulait ni marcher, ni parler, et restait immobile, les mains croisées sur son genou, les yeux perdus dans l’obscurité, alanguie et faible, un peu inquiète et heureuse pourtant, pensant à peine, ne rêvant même pas, luttant par moments contre de vagues remords qu’elle repoussait en se répétant toujours : « Je l’aime, je l’aime, je l’aime ! »

Elle monta de bonne heure dans sa chambre, pour être seule et songer. Assise au fond d’un fauteuil et enveloppée d’un peignoir flottant, elle regardait les étoiles par sa fenêtre restée ouverte ; et dans le cadre de cette fenêtre, elle évoquait à toute minute l’image de celui qui venait de la conquérir. Elle le voyait, bon, doux et violent, si fort et si soumis devant elle. Cet homme l’avait prise, elle le sentait, prise pour toujours. Elle n’était plus seule, ils étaient deux dont les deux cœurs ne formeraient plus qu’un