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MADEMOISELLE FIFI

Les autres, tout à fait saouls, secoués soudain par un enthousiasme militaire, un enthousiasme de brutes, saisirent leurs verres en vociférant : « Vive la Prusse ! » et les vidèrent d’un seul trait.

Les filles ne protestaient point, réduites au silence et prises de peur. Rachel elle-même se taisait, impuissante à répondre.

Alors, le petit marquis posa sur la tête de la juive sa coupe de champagne emplie à nouveau : « À nous aussi, cria-t-il, toutes les femmes de France ! »

Elle se leva si vite, que le cristal, culbuté, vida, comme pour un baptême, le vin jaune dans ses cheveux noirs, et il tomba, se brisant à terre. Les lèvres tremblantes, elle bravait du regard l’officier qui riait toujours, et elle balbutia, d’une voix étranglée de colère : « Ça, ça, ça n’est pas vrai, par exemple, vous n’aurez pas les femmes de France ».

Il s’assit pour rire à son aise, et, cherchant l’accent parisien : « Elle est pien ponne, pien ponne, qu’est-ce alors que tu viens faire ici, pétite ? »

Interdite, elle se tut d’abord, comprenant mal dans son trouble, puis, dès qu’elle eut bien saisi ce qu’il disait, elle lui jeta, indignée et véhémente : « Moi ! moi ! Je ne suis pas une femme, moi, je suis une