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Et il s’animait : « Nous sommes leurs maîtres ! à nous la France ! »

Elle quitta ses genoux d’une secousse et retomba sur sa chaise. Il se leva, tendit son verre jusqu’au milieu de la table et répéta : « À nous la France et les Français, les bois, les champs et les maisons de France ! »

Les autres, tout à fait saouls, secoués soudain par un enthousiasme militaire, un enthousiasme de brutes, saisirent leurs verres en vociférant ; « Vive la Prusse ! » et les vidèrent d’un seul trait.

Les filles ne protestaient point, réduites au silence et prises de peur. Rachel elle-même se taisait, impuissante à répondre.

Alors, le petit marquis posa sur la tête de la juive sa coupe de champagne emplie à nouveau : « À nous aussi, cria-t-il, toutes les femmes de France ! »

Elle se leva si vite, que le cristal, culbuté, vida, comme pour un baptême, le vin jaune dans ses cheveux noirs, et il tomba, se brisant à terre. Les lèvres tremblantes, elle bravait du regard l’officier qui riait toujours, et elle balbutia, d’une voix étranglée de colère : « Ça, ça, ça n’est pas vrai, par exemple, vous n’aurez pas les femmes de France. »