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découverte d’un secret de l’univers.

J’ai tenté d’aiguiser mes organes, de les exciter, de leur faire percevoir par moments l’invisible.

Je me suis dit : Tout est un être. Le cri qui passe dans l’air est un être comparable à la bête puisqu’il naît, produit un mouvement, se transforme encore pour mourir. Or, l’esprit craintif qui croit à des êtres incorporels n’a donc pas tort. Qui sont-ils ?

Combien d’hommes les pressentent, frémissent à leur approche, tremblent à leur inappréciable contact. On les sent auprès de soi, autour de soi, mais on ne les peut distinguer, car nous n’avons pas l’œil qui les verrait, ou plutôt l’organe inconnu qui pourrait les découvrir.

Alors, plus que personne, je les sentais, moi, ces passants surnaturels. Êtres ou mystères ? Le sais-je ? Je ne pourrais dire ce qu’ils sont, mais je pourrais toujours signaler leur présence. Et j’ai vu — j’ai vu un être invisible — autant qu’on peut les voir, ces êtres.

Je demeurais des nuits entières immobile, assis devant ma table, la tête dans mes mains et songeant à cela, songeant à eux. Souvent j’ai cru qu’une main intan-