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du matin ; la prison s’ouvre à cinq heures, alors que la nuit vient. Mais, en compensation, pendant quinze jours par an on a bien le droit, — droit discuté, marchandé, reproché, d’ailleurs — de rester enfermé dans son logis. Car où pourrait-on aller sans argent ?


Le charpentier grimpe dans le ciel, le cocher rôde par les rues ; le mécanicien des chemins de fer traverse les bois, les plaines, les montagnes, va sans cesse des murs de la ville au large horizon bleu des mers. L’employé ne quitte point son bureau, cercueil de ce vivant ; et dans la même petite glace où il s’est regardé, jeune, avec sa moustache blonde, le jour de son arrivée, il se contemple, chauve, avec sa barbe blanche, le jour où il est mis à la retraite. Alors, c’est fini, la vie est fermée, l’avenir clos. Comment cela se fait-il qu’on en soit là, déjà ? Comment donc a-t-on pu vieillir ainsi sans qu’aucun événement se soit accompli, qu’aucune surprise de l’existence vous ait jamais secoué ? Cela est pourtant. Place aux jeunes, aux jeunes employés !

Alors on s’en va, plus misérable encore, avec l’infime pension de retraite. On se retire aux environs de Paris, dans un village à dépotoirs, où l’on meurt presque tout de suite de la brusque rupture de cette longue et acharnée habitude du bureau quotidien, des mêmes mouvements, des mêmes actions, des mêmes