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SOUVENIRS.

Ce qu’il y a de plus remarquable dans la foire Saint-Romain, c’est l’odeur, odeur que j’aime, parce que je l’ai sentie tout enfant, mais qui vous dégoûterait sans doute. On sent le hareng grillé, les gaufres et les pommes cuites.

Entre chaque baraque, en effet, dans tous les coins, on grille des harengs en plein air, car nous sommes au plus fort de la saison de pêche, et on cuit des gaufres, et on rissole des pommes, des belles pommes normandes, sur de grands plats d’étain.

J’entends une cloche. Et tout à coup une émotion singulière me serre le cœur. Deux souvenirs m’ont assailli, l’un de mes premiers ans, l’autre de l’adolescence.

Je demande à l’ami qui m’accompagne :

— C’est toujours lui ?

Il a compris et il répond :

— C’est toujours lui, ou plutôt toujours eux. Le violon de Bouilhet y est encore.

Et j’aperçois bientôt la tente, la petite tente où l’on joue, comme on jouait dans mon enfance, cette Tentation de Saint Antoine, qui ravissait Gustave Flaubert et Louis Bouilhet.

Sur l’estrade, un vieux homme à cheveux blancs, si vieux, si courbé qu’il semble un cen-