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UNE PASSION

minute, avant de fermer les yeux à jamais.

L’absence et le temps avaient apaisé la satiété et la colère du jeune homme ; il fut attendri, pleura, et partit pour le Havre.

Elle semblait à l’agonie. On les laissa seuls ; et il eut, sur le lit de cette mourante qu’il avait tuée malgré lui, une crise d’épouvantable chagrin. Il sanglota, l’embrassa avec des lèvres douces et passionnées, comme il n’en avait jamais eu pour elle. Il balbutiait : « Non, non, tu ne mourras pas, tu guériras, nous nous aimerons… nous nous aimerons… toujours… »

Elle murmura : « Est-ce vrai ? Tu m’aimes ? » Et lui, dans sa désolation, jura, promit de l’attendre lorsqu’elle serait guérie, s’apitoya longuement en baisant les mains si maigres de la pauvre femme dont le cœur battait à coups désordonnés.

Le lendemain, il regagnait sa garnison.

Six semaines plus tard, elle le rejoignait, toute vieillie, méconnaissable, et plus énamourée encore.

Éperdu, il la reprit. Puis, comme ils vivaient ensemble à la façon des gens unis par la loi, le