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UNE PASSION

Il devint pâle et se remit à raisonner ; il lui montra, jusqu’à leur mort, les inévitables conséquences d’une pareille action : leur vie brisée ; le monde fermé… Elle répondait obstinément. « Qu’importe, quand on s’aime ! »

Alors, tout à coup, il éclata : « Eh bien ! non. Je ne veux pas. Entends-tu ? je ne veux pas, je te le défends. » Puis, emporté par ses longues rancunes, il vida son cœur : « Eh ! sacrebleu, voilà assez longtemps que tu m’aimes malgré moi, il ne manquerait que de t’emmener. Merci, par exemple ! »

Elle ne répondit rien, mais son visage livide eut une lente et douloureuse crispation comme si tous ses nerfs et ses muscles se fussent tordus. Et elle s’en alla sans lui dire adieu.

La nuit même elle s’empoisonnait. On la crut perdue pendant huit jours. Et dans la ville on jasait, on la plaignait, excusant sa faute grâce à la violence de sa passion ; car les sentiments extrêmes, devenus héroïques par leur emportement, se font toujours pardonner ce qu’ils ont de condamnable. Une femme qui se tue n’est pour ainsi dire plus adultère. Et ce fut bientôt