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RÊVES

— Parce que les rêves ne sont pas toujours agréables, et que toujours ils sont bizarres, invraisemblables, décousus, et que, dormant, nous ne pouvons même savourer les meilleurs à notre gré. Il faut rêver éveillé.

— Qui vous en empêche ? interrogea l’écrivain.

Le médecin jeta son cigare.

— Mon cher, pour rêver éveillé, il faut une grande puissance et un grand travail de volonté, et, partant, une grande fatigue en résulte. Or, le vrai rêve, cette promenade de notre pensée à travers des visions charmantes, est assurément ce qu’il y a de plus délicieux au monde ; mais il faut qu’il vienne naturellement, qu’il ne soit pas péniblement provoqué et qu’il soit accompagné d’un bien-être absolu du corps. Ce rêve-là, je peux vous l’offrir, à condition que vous me promettiez de n’en pas abuser.

L’écrivain haussa les épaules :

— Ah ! oui, je sais, le haschich, l’opium, la confiture verte, les paradis artificiels. J’ai lu Baudelaire ; et j’ai même goûté la fameuse drogue, qui m’a rendu fort malade.

Mais le médecin s’était assis :