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LA VEILLÉE

d’une voix haute : « Mon adorée, je t’aime à en perdre la tête. Depuis hier, je souffre comme un damné brûlé par ton souvenir. Je sens tes lèvres sous les miennes, tes yeux sous mes yeux, ta chair sous ma chair. Je t’aime, je t’aime ! Tu m’as rendu fou. Mes bras s’ouvrent, je halette soulevé par un immense désir de t’avoir encore. Tout mon corps t’appelle, te veut. J’ai gardé dans ma bouche le goût de tes baisers… »

Le magistrat s’était redressé ; la religieuse s’interrompit ; il lui arracha la lettre, chercha la signature. Il n’y en avait pas, mais seulement sous ces mots : « Celui qui t’adore », le nom : « Henry ». Leur père s’appelait René. Ce n’était donc pas lui. Alors le fils, d’une main rapide, fouilla dans le paquet de lettres, en prit une autre, et il lut : « Je ne puis plus me passer de tes caresses… » Et debout, sévère comme à son tribunal, il regarda la morte impassible. La religieuse, droite comme une statue, avec des larmes restées au coin des yeux, considérant son frère, attendait. Alors il traversa la chambre à pas lents, gagna la fenêtre et, le regard perdu dans la nuit, songea.