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LA VEILLÉE

comme si elle eût fait sa toilette encore dix minutes avant la mort, toute sa physionomie pâle de trépassée si recueillie, si reposée, si résignée qu’on sentait bien quelle âme douce avait habité ce corps, quelle existence sans trouble avait menée cette aïeule sereine, quelle fin sans secousses et sans remords avait eue cette sage.

À genoux, près du lit, son fils, un magistrat aux principes inflexibles, et sa fille, Marguerite, en religion sœur Eulalie, pleuraient éperdument. Elle les avait, dès l’enfance, armés d’une intraitable morale, leur enseignant la religion sans faiblesses et le devoir sans pactisations. Lui, l’homme, était devenu magistrat, et brandissant la loi, il frappait sans pitié les faibles, les défaillants ; elle, la fille, toute pénétrée de la vertu qui l’avait baignée en cette famille austère, avait épousé Dieu, par dégoût des hommes.

Ils n’avaient guère connu leur père ; ils savaient seulement qu’il avait rendu leur mère malheureuse, sans apprendre d’autres détails.

La religieuse baisait follement une main pendante de la morte, une main d’ivoire pareille au grand Christ couché sur le lit. De l’autre côté du