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UN BANDIT CORSE

Sainte-Lucie était resté seul avec sa sœur. C’était un garçon faible et timide, petit, souvent malade, sans énergie aucune. Il ne déclara pas la vendetta à l’assassin de son père. Tous ses parents le vinrent trouver, le supplièrent de se venger ; il restait sourd à leurs menaces et à leurs supplications.

Alors, suivant la vieille coutume corse, sa sœur indignée, lui enleva ses vêtements noirs, afin qu’il ne portât pas le deuil d’un mort resté sans vengeance. Il resta même insensible à cet outrage, et, plutôt que de décrocher le fusil encore chargé du père, il s’enferma, ne sortit plus, n’osant pas braver les regards dédaigneux des garçons du pays.

Des mois se passèrent. Il semblait avoir oublié jusqu’au crime et il vivait avec sa sœur au fond de son logis.

Or, un jour, celui qu’on soupçonnait de l’assassinat se maria. Sainte-Lucie ne sembla pas ému par cette nouvelle ; mais voici que, pour le braver sans doute, le fiancé, se rendant à l’église, passa devant la maison des deux orphelins.

Le frère et la sœur, à leur fenêtre, mangeaient