Page:Maupassant - Le Horla, Ollendorff, 1905.djvu/114

Cette page a été validée par deux contributeurs.
108
clochette

Je ne saurais dire l’émotion profonde, poignante, terrible, qui crispa mon cœur d’enfant. Je descendis à petits pas dans le salon et j’allai me cacher dans un coin sombre, au fond d’une immense et antique bergère où je me mis à genoux pour pleurer. Je restai là longtemps sans doute, car la nuit vint.

Tout à coup, on entra avec une lampe, mais on ne me vit pas et j’entendis mon père et ma mère causer avec le médecin dont je reconnus la voix.

On l’avait été chercher bien vite et il expliquait les causes de l’accident. Je n’y compris rien d’ailleurs. Puis il s’assit, et accepta un verre de liqueur avec un biscuit.

Il parlait toujours ; et ce qu’il dit alors me reste et me restera gravé dans l’âme jusqu’à ma mort ! Je crois que je puis reproduire même presque absolument les termes dont il se servit.

— Ah ! disait-il, la pauvre femme ! ce fut ici ma première cliente. Elle se cassa la jambe le jour de mon arrivée et je n’avais pas eu le temps de me laver les mains en descendant de la diligence quand on vint me quérir en toute hâte, car c’était grave, très grave.

« Elle avait dix-sept ans, et c’était une très belle fille, très belle, très belle ! L’aurait-on cru ? Quant à son histoire, je ne l’ai jamais dite ; et personne hors moi et un autre qui n’est plus