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Mais une lueur naît devant nous, une lueur d’argent qui fait pâlir le ciel ; et soudain, comme si elle s’élevait des profondeurs inconnues de l’horizon inférieur, la lune apparaît sur le bord d’un nuage. Elle semble venue d’en bas, tandis que nous la regardons de très haut, accoudés à notre nacelle comme des spectateurs sur un balcon. Elle se dégage luisante et ronde des nuées qui l’enveloppaient, et elle monte au ciel avec lenteur.

La terre n’est plus, la terre est noyée sous les vapeurs laiteuses qui ressemblent à une mer. Nous sommes donc seuls maintenant avec la lune, dans l’immensité, et la lune a l’air d’un ballon qui voyage en face de nous ; et notre ballon qui reluit a l’air d’une lune plus grosse que l’autre, d’un monde errant au milieu du ciel, au milieu des astres, dans l’étendue infinie. Nous ne parlons plus, nous ne pensons plus, nous ne vivons plus ; nous allons, délicieusement inertes, à travers l’espace L’air qui nous porte a fait de nous des êtres qui lui ressemblent, des êtres muets, joyeux et fous, grisés par cette envolée prodigieuse, étrangement alertes, bien qu’immobiles. On ne sent plus la chair, on ne sent plus les os, on ne sent plus palpiter le cœur, on est devenu quelque chose d’inexprimable,