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sous les pieds lui donna des envies folles de faire la culbute, comme un enfant.

Il prit son élan, cabriola, se releva, recommença. Et, entre chaque pirouette, il se remettait à chanter :


Ah ! qu’il fait donc bon
Qu’il fait donc bon
Cueillir la fraise.


Tout à coup, il se trouva au bord d’un chemin creux et il aperçut, dans le fond, une grande fille, une servante qui rentrait au village, portant aux mains deux seaux de lait, écartés d’elle par un cercle de barrique.

Il la guettait, penché, les yeux allumés comme ceux d’un chien qui voit une caille.

Elle le découvrit, leva la tête, se mit à rire et lui cria :

— C’est-il vous qui chantiez comme ça ?

Il ne répondit point et sauta dans le ravin, bien que le talus fût haut de six pieds au moins.

Elle dit, le voyant soudain debout devant elle : « Cristi, vous m’avez fait peur ! »

Mais il ne l’entendait pas, il était ivre, il était fou, soulevé par une autre rage plus dévorante que la faim, enfiévré par l’alcool, par l’irrésistible furie d’un homme qui manque