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en criant : « Georges. » Je l’embrassai, mais je ne l’avais pas reconnu. Puis je murmurai stupéfait « : Cristi, tu n’as pas maigri. » Il répondit en riant : « Que veux-tu ? La bonne vie ! la bonne table ! les bonnes nuits ! Manger et dormir, voilà mon existence ! »

Je le contemplai, cherchant dans cette large figure les traits aimés. L’œil seul n’avait point changé ; mais je ne retrouvais plus le regard et je me disais : « S’il est vrai que le regard est le reflet de la pensée, la pensée de cette tête-là n’est plus celle d’autrefois, celle que je connaissais si bien. »

L’œil brillait pourtant, plein de joie et d’amitié ; mais il n’avait plus cette clarté intelligente qui exprime, autant que la parole, la valeur d’un esprit.

Tout à coup, Simon me dit :

— Tiens, voici mes deux aînés.

Une fillette de quatorze ans, presque femme, et un garçon de treize ans, vêtu en collégien, s’avancèrent d’un air timide et gauche.

Je murmurai : « C’est à toi ? »

Il répondit en riant : « Mais, oui.

— Combien en as-tu donc ?

— Cinq ? Encore trois restés à la maison ! »

Il avait répondu cela d’un air fier, content, presque triomphant ; et moi je me sentais