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Reste à savoir si les gens doués d’un tempérament batailleur sont doués aussi des qualités qui font les hommes supérieurs. Cela est douteux. Ceux qu’on appelle les fines lames sont quelquefois de fins esprits, rarement ou jamais de grands esprits.

La raison en est bien simple. Quand un homme passe son existence dans le travail, il ne peut pas la passer en même temps dans les salles d’armes. Quand un homme porte en son cœur une éternelle préoccupation de science ou d’art, il ne s’inquiète guère des histoires de femme, de Bourse, de vanité, ou de politique personnelle, qui amènent chaque jour le transpercement d’un bras nouveau.



Il est encore un genre de duel devant lequel je m’incline, c’est le duel industriel ; le duel pour la réclame ; le duel entre journalistes.

Quand le tirage d’un journal commence à baisser, un des rédacteurs se dévoue et, dans un article virulent, insulte un confrère quelconque. L’autre réplique. Le public s’arrête comme devant une baraque de bateleurs. Et un duel a lieu, dont on parle dans les salons.

Ce procédé a cela d’excellent qu’il rendra de plus en plus inutile l’emploi de rédacteurs écrivant le français. Il suffira d’être fort aux armes. M. Veuillot, qui se servait mieux de sa plume que beaucoup d’autres, agissait tout autrement, il est vrai. Que voulez-vous ? tout le monde n’a