Page:Maupassant - La maison Tellier - Ollendorff, 1899.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
74
les tombales

Je m’y promenai longtemps sans rencontrer d’autres personnes que les visiteurs ordinaires de ce lieu, ceux qui n’ont pas encore rompu toutes relations avec leurs
morts. La tombe du capitaine tué au Tonkin n’avait pas de pleureuse sur son marbre, ni de fleurs, ni de couronnes.

Mais comme je m’égarais dans un autre quartier de cette grande ville de trépassés, j’aperçus tout à coup, au bout d’une étroite avenue de croix, venant vers moi, un couple en grand deuil, l’homme et la femme. Ô stupeur ! quand ils s’approchèrent, je la reconnus. C’était elle !

Elle me vit, rougit, et, comme je la frôlais en la croisant, elle me fit un tout petit signe, un tout petit coup d’œil qui signifiaient : « Ne me reconnaissez pas, » mais qui semblaient dire aussi : « Revenez me voir, mon chéri. »

L’homme était bien, distingué, chic, officier de la Légion d’honneur, âgé d’environ cinquante ans.

Et il la soutenait, comme je l’avais soutenue moi même en quittant le cimetière.

Je m’en allai stupéfait, me demandant ce que je