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les tombales

voile se répandant autour d’elle couvrit les angles blancs de la sépulture aimée, comme un deuil nouveau. Je l’entendis gémir, puis elle s’affaissa, sa joue sur la dalle, et demeura immobile, sans connaissance.

Je me précipitai vers elle, je lui frappai dans les mains, je soufflai sur ses paupières, tout en lisant l’épitaphe très simple : « Ici repose Louis — Théodore Carrel, capitaine d’infanterie de marine, tué par l’ennemi, au Tonkin. Priez pour lui. »

Cette mort remontait à quelques mois. Je fus attendri jusqu’aux larmes, et je redoublai mes soins. Ils réussirent ; elle revint à elle. J’avais l’air très ému – je ne suis pas trop mal, je n’ai pas quarante ans. — Je compris à son premier regard qu’elle serait polie et reconnaissante. Elle le fut, avec d’autres larmes, et son histoire contée, sortie par fragments de sa poitrine haletante, la mort de l’officier tombé au Tonkin, au bout d’un an de mariage, après l’avoir épousée par amour, car, orpheline de père et de mère, elle avait tout juste la dot réglementaire.

Je la consolai, je la réconfortai, je la soulevai, je la relevai. Puis je lui dis :

— Ne restez pas ici. Venez.

Elle murmura :

— Je suis incapable de marcher.

— Je vais vous soutenir.

— Merci, monsieur, vous êtes bon. Vous veniez également ici pleurer un mort ?

— Oui, madame.