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les tombales

tesses qui vous font penser, quand on se porte bien : « Ça n’est pas drôle, cet endroit-là, mais le moment n’en est pas encore venu pour moi… »

L’impression de l’automne, de cette humidité tiède qui sent la mort des feuilles et le soleil affaibli, fatigué, anémique, aggravait en la poétisant la sensation de solitude et de fin définitive flottant sur ce lieu, qui sent la mort des hommes.

Je m’en allais à petits pas dans ces rues de tombes, où les voisins ne voisinent point, ne couchent plus ensemble et ne lisent pas de journaux. Et je me mis, moi, à lire les épitaphes. Ça, par exemple, c’est la chose la plus amusante du monde. Jamais Labiche, jamais Meilhac ne m’ont fait rire comme le comique de la prose tombale. Ah ! quels livres supérieurs à ceux de Paul de Kock pour ouvrir la rate que ces plaques de marbre et ces croix où les parents des morts ont épanché leurs regrets, leurs vœux pour le bonheur du disparu dans l’autre monde, et leur espoir de le rejoindre – blagueurs !

Mais j’adore surtout, dans ce cimetière, la partie abandonnée, solitaire, pleine de grands ifs et de cyprès, vieux quartier des anciens morts qui redeviendra bien tôt un quartier neuf, dont on abattra les arbres verts, nourris de cadavres humains, pour aligner les récents trépassés sous de petites galettes de marbre.

Quand j’eus erré là le temps de me rafraîchir l’esprit, je compris que j’allais m’ennuyer et qu’il fallait porter au dernier lit de ma petite amie l’hommage fidèle de