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les tombales

coup dans Paris, comme les bibelotiers qui fouillent les vitrines. Moi je guette les spectacles, les gens, tout ce qui passe, et tout ce qui se passe.

Or, vers la mi-septembre, il faisait très beau temps à ce moment-là, je sortis de chez moi, une après-midi, sans savoir où j’irais. On a toujours un vague désir de faire une visite à une jolie femme quelconque. On choisit dans sa galerie, on les compare dans sa pensée, on pèse l’intérêt qu’elles vous inspirent, le charme qu’elles vous imposent et on se décide enfin suivant l’attraction du jour. Mais quand le soleil est très beau et l’air tiède, ils vous enlèvent souvent toute envie de visites.

Le soleil était beau, et l’air tiède ; j’allumai un cigare et je m’en allai tout bêtement sur le boulevard extérieur. Puis comme je flânais, l’idée me vint de pousser jusqu’au cimetière Montmartre et d’y entrer.

J’aime beaucoup les cimetières, moi, ça me repose et me mélancolise : j’en ai besoin. Et puis, il y a aussi de bons amis là dedans, de ceux qu’on ne va plus voir ; et j’y vais encore, moi, de temps en temps.

Justement, dans ce cimetière Montmartre, j’ai une histoire de cœur, une maîtresse qui m’avait beaucoup pincé, très ému, une charmante petite femme dont le souvenir, en même temps qu’il me peine énormément, me donne des regrets… des regrets de toute nature… Et je vais rêver sur sa tombe… C’est fini pour elle.

Et puis, j’aime aussi les cimetières, parce que ce sont des villes monstrueuses, prodigieusement habitées.