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la maison tellier

— Ça, c’est tapé ! déclara Rivet, allumé par la cadence ; et Rosa aussitôt continua :

Quoi, maman, vous n’étiez pas sage ?
— Non, vraiment ! et de mes appas,
Seule, à quinze ans, j’appris l’usage,
Car, la nuit, je ne dormais pas.

Tous ensemble hurlèrent le refrain ; et Rivet tapait du pied sur son brancard, battait la mesure avec les rênes sur le dos du bidet blanc qui, comme s’il eût été lui-même enlevé par l’entrain du rythme, prit le galop, un galop de tempête, précipitant ces dames en tas les unes sur les autres dans le fond de la voiture.

Elles se relevèrent en riant comme des folles. Et la chanson continua, braillée à tue-tête à travers la campagne, sous le ciel brûlant, au milieu des récoltes mûrissantes, au train enragé du petit cheval qui s’emballait maintenant à tous les retours du refrain, et piquait chaque fois ses cent mètres de galop, à la grande joie des voyageurs.

De place en place, quelque casseur de cailloux se redressait, et regardait à travers son loup de fil de fer cette carriole enragée et hurlante emportée dans la poussière.

Quand on descendit devant la gare, le menuisier s’attendrit : — « C’est dommage que vous partiez, on aurait bien rigolé. »

Madame lui répondit sensément : — « Toute chose a son temps, on ne peut pas s’amuser toujours. » — Alors