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la maison tellier

se dégageait. Les filles s’amusaient maintenant des cahots de la guimbarde, poussaient même les chaises des voisines, éclataient de rire à tout instant, mises en train d’ailleurs par les vaines tentatives de Rivet.

Une lumière folle emplissait les champs, une lumière miroitant aux yeux ; et les roues soulevaient deux sillons de poussière qui voltigeaient longtemps derrière la voiture sur la grand’route.

Tout à coup Fernande, qui aimait la musique, supplia Rosa de chanter ; et celle-ci entama gaillardement le Gros Curé de Meudon. Mais Madame tout de suite la fit taire, trouvant cette chanson peu convenable en ce jour. Elle ajouta : — « Chante-nous plutôt quelque chose de Béranger. » — Alors Rosa, après avoir hésité quelques secondes, fixa son choix, et de sa voix usée commença la Grand’Mère :

Ma grand’mère, un soir à sa fête,
De vin pur ayant bu deux doigts,
Nous disait, en branlant la tête :
Que d’amoureux j’eus autrefois !
Combien je regrette
Mon bras si dodu,
Ma jambe bien faite,
Et le temps perdu !

Et le chœur des filles, que Madame elle-même conduisait, reprit :

Combien je regrette
Mon bras si dodu,
Ma jambe bien faite,
Et le temps perdu !