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la femme de paul

Sur l’autre rive, les maisons de campagne de Croissy s’étageaient en pleine clarté.

Paul vit tout cela comme dans un songe, comme à travers un souvenir ; il ne songeait à rien, ne comprenait rien, et toutes les choses, son existence même, lui apparaissaient vaguement, lointaines, oubliées, finies.

Le fleuve était là. Comprit-il ce qu’il faisait ? Voulut-il mourir ? Il était fou. Il se retourna cependant vers l’île, vers Elle ; et, dans l’air calme de la nuit où dansaient toujours les refrains affaiblis et obstinés du bastringue,
il lança d’une voix désespérée, suraiguë, surhumaine, un effroyable cri : — « Madeleine ! »

Son appel déchirant traversa le large silence du ciel, courut par tout l’horizon.

Puis, d’un bond formidable, d’un bond de bête ; il sauta dans la rivière. L’eau jaillit, se referma, et, de la place où il avait disparu, une succession de grands cercles partit, élargissant jusqu’à l’autre berge leurs ondulations brillantes.

Les deux femmes avaient entendu. Madeleine se dressa : —