Page:Maupassant - La maison Tellier - Ollendorff, 1899.djvu/265

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
255
la femme de paul

sais ce que je t’ai dit. Si tu n’es pas content, la porte est ouverte. On ne te retient pas. Quant à moi, j’ai pro mis : j’irai. »

Il posa ses deux coudes sur la table, enferma son front dans ses mains, et resta là, rêvant douloureusement.

Les canotiers redescendirent en braillant toujours. Ils repartaient dans leurs yoles pour le bal de la Grenouillère.

Madeleine dit à Paul : — « Si tu ne viens pas, décide-toi, je demanderai à un de ces messieurs de me conduire. »

Paul se leva : — « Allons ! » murmura-t-il.

Et ils partirent.

La nuit était noire, pleine d’astres, parcourue par une haleine embrasée, par un souffle pesant, chargé d’ardeurs, de fermentations, de germes vifs qui, mêlés à la brise, l’alentissaient. Elle promenait sur les visages une caresse chaude, faisait respirer plus vite, haleter un peu, tant elle semblait épaissie et lourde.

Les yoles se mettaient en route, portant à l’avant une lanterne vénitienne. On ne distinguait point les embarcations, mais seulement ces petits falots de couleur, rapides et dansants, pareils à des lucioles en délire ; et des voix couraient dans l’ombre de tous côtés.

La yole des deux jeunes gens glissait doucement. Parfois, quand un bateau lancé passait près d’eux, ils apercevaient soudain le dos blanc du canotier éclairé par sa lanterne.