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la femme de paul

le canot monté par les quatre femmes. La grosse Pauline aussi les vit, car elle se redressa, envoyant à Madeleine des baisers. Puis elle cria : — « À ce soir ! »

Madeleine répondit : — « À ce soir ! »

Paul crut sentir soudain son cœur enveloppé de glace.

Et ils rentrèrent pour dîner.

Ils s’installèrent sous une des tonnelles au bord de l’eau et se mirent à manger en silence. Quand la nuit fut venue, on apporta une bougie, enfermée dans un globe de verre, qui les éclairait d’une lueur faible et vacillante ; et l’on entendait à tout moment les explosions de cris des canotiers dans la grande salle du premier.

Vers le dessert, Paul, prenant tendrement la main de Madeleine, lui dit : — « Je me sens très fatigué, ma mignonne ; si tu veux, nous nous coucherons de bonne heure. »

Mais elle avait compris la ruse, et elle lui lança ce regard énigmatique, ce regard à perfidies qui apparaît si vite au fond de l’œil de la femme. Puis, après avoir réfléchi, elle répondit : — « Tu te coucheras si tu veux, moi j’ai promis d’aller au bal de la Grenouillère. »

Il eut un sourire lamentable, un de ces sourires dont on voile les plus horribles souffrances, mais il répondit d’un ton caressant et navré : — « Si tu étais bien gentille, nous resterions tous les deux. » Elle fit « non » de la tête sans ouvrir la bouche. Il insista : — « T’en prie ! ma bichette. » Alors elle rompit brusquement : — « Tu