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la femme de paul

comme on tombe dans un trou bourbeux. D’une nature attendrie et fine, il avait rêvé des liaisons exquises, idéales et passionnées ; et voilà que ce petit criquet de femme, bête, comme toutes les filles, d’une bêtise exaspérante, pas jolie même, maigre et rageuse, l’avait pris, captivé, possédé des pieds à la tête, corps et âme. Il subissait cet ensorcellement féminin, mystérieux et tout-puissant, cette force inconnue, cette domination prodigieuse, venue on ne sait d’où, du démon de la chair, et qui jette l’homme le plus sensé aux pieds d’une fille quelconque sans que rien en elle explique son pouvoir fatal et souverain.

Et là, derrière son dos, il sentait qu’une chose infâme s’apprêtait. Des rires lui entraient au cœur. Que faire ? Il le savait bien, mais ne le pouvait pas.

Il regardait fixement, sur la berge en face, un pêcheur à la ligne immobile.

Soudain le bonhomme enleva brusquement du fleuve un petit poisson d’argent qui frétillait au bout du fil. Puis il essaya de retirer son hameçon, le tordit, le tourna, mais en vain ; alors, pris d’impatience, il se mit à tirer, et tout le gosier saignant de la bête sortit avec un paquet d’entrailles. Et Paul frémit, déchiré lui-même jusqu’au cœur ; il lui sembla que cet hameçon c’était son amour, et que, s’il fallait l’arracher, tout ce qu’il avait dans la poitrine sortirait ainsi au bout d’un fer recourbé, accroché au fond de lui, et dont Madeleine tenait le fil.

Une main se posa sur son épaule ; il eut un sursaut,